Enseignement et colonisation dans l’Empire français
 

La question de l’enseignement dans le discours de la gauche coloniale

Le cas de la Tunisie du pro­tec­to­rat (1901-1955)

Des pages entiè­res de l’his­toire colo­niale res­tent encore mal connues. C’est le cas, notam­ment de l’action des milieux laï­ques dans le Maghreb colo­nial. Le cas des fédé­ra­tions de Tunisie de la SFIO et de la Ligue fran­çaise de l’ensei­gne­ment à l’époque du pro­tec­to­rat fran­çais en cons­ti­tuent de très bons exem­ples.

S’effor­çant de pro­lon­ger en terre colo­niale l’œuvre de « leurs mai­sons mères » métro­po­li­tai­nes, ces deux struc­tu­res, à dimen­sion poli­tico-cultu­rel­les, mène­ront, de leur créa­tion au début du 20è siècle jusqu’à l’indé­pen­dance tuni­sienne, un combat résolu pour la défense et la pro­mo­tion de la laï­cité. Convaincus de la légi­ti­mité de l’entre­prise colo­niale ,ces repré­sen­tants d’une cer­taine gauche répu­bli­caine (parmi les­quels nous comp­tons beau­coup d’ensei­gnants) vou­lu­rent faire de l’école publi­que fran­çaise en Tunisie, le fer de lance d’une mis­sion « civi­li­sa­trice » à laquelle ils sem­blaient sin­cè­re­ment croire .Mais que cachent vrai­ment ces mots ? De quelle école s’agis­sait-il au juste ? Quel contenu précis pré­ten­dait-elle fixer à l’ensei­gne­ment qu’elle enten­dait dis­pen­ser, à l’atten­tion de quels publics sco­lai­res et avec quel­les fina­li­tés ? Quelles étaient, en somme, la nature exact et les ambi­tions du projet sco­laire défendu par ces tenants d’un cer­tain pro­gres­sisme colo­nial ? Avec quels moyens- mais aussi avec quel­les allian­ces- enten­daient-ils les mettre en œuvre et les amener à bon port ?

Ces ques­tions étaient, à vrai dire, – dans le contexte indi­qué – d’autant plus pro­blé­ma­ti­ques que la thé­ma­ti­que laïque se trou­vait direc­te­ment confron­tée au fait colo­nial lui-même mais également à la réa­lité socio­cultu­relle musul­mane. Cette ren­contre aurait pu, pour­tant, être féconde. De pro­met­teu­ses évolutions com­men­çaient, d’ailleurs à se des­si­ner dès l’entre deux guer­res et même à se conso­li­der après la seconde guerre mon­diale. Un grande partie de l’élite poli­ti­que et intel­lec­tuelle tuni­sienne, formée à l’époque colo­niale, n’en cons­ti­tue- t-elle pas, du reste, la preuve indé­nia­ble ? Mais cette gauche fran­çaise de Tunisie était- comme bien sou­vent en situa­tion simi­laire - piégée par ses contra­dic­tions, ses cer­ti­tu­des et ses pré­ju­gés et inca­pa­ble, fina­le­ment, d’envi­sa­ger le pays réel autre­ment qu’à tra­vers son propre miroir.

Nous nous pro­po­sons d’abor­der ce sujet en pui­sant, prin­ci­pa­le­ment, dans les écrits, fort abon­dants, des socia­lis­tes et des « ligueurs » de Tunisie, témoins loqua­ces et- à leur manière - pré­cieux d’une période cru­ciale de l’his­toire de ce pays.